Contexte
Les premières variétés rendues tolérantes à une famille herbicide à laquelle l’espèce est normalement sensible, issues de mutations spontanées et/ou induites, ont été mises à disposition des agriculteurs dans les années 1980 (colza tolérant à l’atrazine au Canada en 1981), une décennie avant l’introduction sur le marché des premières variétés transgéniques. En France, la culture des plantes transgéniques étant interdite, seules les VTH obtenues par mutagenèse sont utilisées (maïs tolérant aux cycloxydimes et maïs tolérant aux imidazolinones depuis 1994, chicorée à chicon et chicorée industrielle résistantes aux sulfonylurées avant 2000). A partir de 2008, des obtenteurs proposent à l’inscription au catalogue français les premières variétés de tournesol et de colza tolérantes aux imidazolinones et aux sulfonylurées. Cette tolérance est due à une mutation ponctuelle survenue sur le gène codant l’enzyme cible de la substance active dont l’action, dès lors, est inopérante. Cette solution technique est présentée comme une alternative intéressante dans la lutte contre des adventices difficiles à éliminer avec les stratégies herbicides classiques, des espèces envahissantes (telles que l’ambroisie) ou parasites (orobanche), ainsi que les espèces apparentées à la culture (notamment le tournesol sauvage dans les cultures de tournesol, et les crucifères en colza). La commercialisation en France des premières variétés de tournesol TH en 2009 a conduit à une adoption rapide et relativement large auprès des agriculteurs pour atteindre un plafond à partir de 2012 à près de 20 % de la sole nationale de tournesol, soit 150 000 ha. La commercialisation de colza TH est plus récente donc les surfaces concernées sont pour l’instant plus faibles (20 000 ha en 2014) mais le potentiel de croissance est important puisque 1,5 Mha de colza sont cultivés en France.
Sur le plan réglementaire français, la mise à disposition de ces VTH et des herbicides correspondants relève de deux procédures distinctes : (i) l’inscription de la variété sur le catalogue officiel français (par le CTPS) ou européen et (ii) l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) de l’herbicide. Les VTH interrogent quant au statut réglementaire de leur mode d’obtention, en particulier la mutagénèse pour les variétés commercialisées en France. En tant que technique conduisant à une modification des génomes (par l’augmentation de l’occurrence du phénomène naturel qu’est l’apparition de mutations), la mutagénèse est listée, au niveau européen (directive 2001/18/CE), dans les techniques permettant l’obtention d’OGM. Néanmoins, la mutagénèse est également listée dans l’annexe 1B de la directive 2001/18/CE en tant que technique exemptée des mesures associées à la dissémination d’OGM. L’utilisation des VTH obtenues par mutagenèse n’est donc pas conditionnée à une évaluation préalable du risque associé à leur dissémination volontaire dans l’environnement. Cette situation génère une opposition au développement de ces variétés par des associations et des ONG environnementales qui les qualifient d’« OGM cachés » et qui mènent régulièrement des actions de fauchage de parcelles d’essais variétaux et de production.
L’adoption très rapide des variétés de tournesol TH, l’arrivée sur le marché de variétés de colza TH et la montée d’une inquiétude forte émanant d’une partie de la société civile ont conduit les Ministères de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt (MAAF) et de l’Ecologie, du Développement durable et de l'Energie (MEDDE) à s’interroger sur l’adéquation du déploiement et de l’utilisation de ces variétés avec les objectifs du plan Ecophyto et plus largement les objectifs de la directive UE 2009/128 sur l’usage durable des pesticides, et à tenter d’objectiver le débat sur la question de l’acceptabilité de certaines biotechnologies. Une ESCo a donc été commanditée à l’INRA et au CNRS par ces deux ministères pour évaluer, sur la base d’une analyse bibliographique exhaustive, « l’impact en termes d’agronomie, de santé des plantes et d’environnement, d’économie et de perception par la société de la diffusion de variétés de plantes cultivées présentant le trait génétique de la tolérance à un herbicide ».
Inputs et situation productive
L’ESCo VTH, conduite de janvier 2010 à novembre 2011, a nécessité l’analyse d’un corpus bibliographique de plus de 14 400 références, fournies aux experts, constitué par trois professionnels de l’information scientifique et technique (INRA et INIST-CNRS), et composé essentiellement d’articles scientifiques auxquels se sont ajoutés des données statistiques, ouvrages, brevets et rapports techniques. Le rapport cite in fine 1 511 références. L’expertise était placée sous la responsabilité scientifique de deux chercheurs : un chercheur INRA du département BAP et un chercheur du CNRS. Elle a mobilisé 18 chercheurs de l’INRA issus de 5 départements de recherche (BAP, EA, SPE, SAD et SAE2) dont 3 du département BAP, 4 chercheurs du CNRS, 1 chercheur de l’IRD, 2 chercheurs de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, 1 chercheur du Laboratoire d’Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (EPOC) et 1 enseignant-chercheur de l’Université d’Evry. Pour répondre à la commande des deux ministères, il a donc fallu mobiliser une grande diversité de disciplines scientifiques : agronomie, écologie, chimie des herbicides, génétique, économie, sociologie, droit et écotoxicologie notamment. L’expertise des chercheurs du département BAP sollicités concernait plus particulièrement l’amélioration des plantes, les modes d’obtention des VTH, l’évolution des génomes et leur plasticité.
Outputs
Trois livrables sont issus de cette ESCo : un rapport de 428 pages rédigé par les experts et référencé, une synthèse de 84 pages et un résumé de communication de 8 pages. La synthèse est rédigée par la DEPE (Délégation à l’Expertise, à la Prospective et aux Etudes) de l’INRA à partir des éléments du rapport, mais l’articulation des idées est réorganisée pour répondre au questionnement des commanditaires orienté vers l’action (diagnostic, actions possibles et moyens à mettre en œuvre). Les conclusions de l’expertise ont été rendues publiques le 16 novembre 2011, à l’occasion d’un colloque destiné à un public élargi de parties prenantes. Celles-ci peuvent être classées selon les idées suivantes : (i) l’adoption des VTH obtenues par mutagénèse sur le territoire national et européen est récente et dans certains cas rapide ; (ii) la majorité des données et références disponibles sur les impacts de l’emploi de ces technologies a été produite dans des contextes de production américains, incluant des plantes transgéniques, généralement plus simplifiés (rotations courtes et monocultures) que les systèmes de production hexagonaux et européens ; (iii) aux Etats-Unis, l’adoption est en partie liée au gain de temps pour les agriculteurs permis par ces méthodologies. Ce temps peut alors être consacré à d’autres tâches rémunératrices ; (iv) le recours aux VTH, qui permet de raisonner le traitement en fonction de la pression adventice grâce à une application de l’herbicide en post-levée, est associé à court terme à une diminution de l’emploi des herbicides qui tend à s’annuler voire s’inverser à plus long terme compte tenu notamment du développement de résistances chez des adventices et de la simplification des systèmes ; (v) le recours aux VTH et les modifications d'usages subséquentes dans les pratiques de désherbage et les molécules herbicides mises en œuvre dans les rotations peuvent conduire à l'adaptation de la flore adventice à travers trois phénomènes : la "dérive de flore" (modification des profils d'espèces d’adventices), la sélection de résistances chez les adventices à partir de mutations spontanées, le transfert horizontal du caractère par flux de gènes entre la culture et les adventices apparentées et (vi) l’utilisation de cette solution technique de lutte contre les adventices doit être conçue dans la mise au point d’outils intégrés de pilotage de la lutte contre les adventices à l’échelle des rotations, afin d’en garantir la pérennité.
Circulation des connaissances et intermédiaires
La circulation des messages de l’ESCo a été en partie assurée par l’INRA au travers de sa communication institutionnelle. Une représentation de l’INRA, en tant que rapporteur des conclusions de l’expertise, a par ailleurs été assurée au sein d’un groupe de travail constitué par le MAAF et chargé d’élaborer un plan d’accompagnement pour la diffusion et l’utilisation durable des VTH sur le territoire national. Les conclusions de l’expertise ont également diffusé à travers la presse selon une tonalité majoritairement factuelle et auprès des acteurs technico-économiques membres du CTPS au sein duquel les représentants du MAAF ont relayé les messages principaux et les actions mises en œuvre par les pouvoirs publics.
Impacts 1
Politique:
Le MAAF a instruit en 2012 la proposition d’inscription d’une variété de tournesol tolérante aux imidazolinones en l’autorisant, au vu des conclusions de l’ESCo, pour une durée d’un an, prolongeable 9 ans à condition que la profession mette en œuvre un plan d’accompagnement pour une utilisation durable des VTH. Cette inscription provisoire a ainsi constitué le point de départ du groupe de travail missionné par le MAAF et réunissant INRA, administration, profession et instituts techniques pour l’élaboration du plan. Le plan élaboré a abouti à la signature d’une « Charte de bonne conduite pour la gestion du désherbage des cultures dans les rotations comprenant des variétés de colza ou de tournesol tolérantes aux herbicides » par l’Union Française des Semenciers (UFS), l’Union de l’Industrie de la Protection des Plantes (UIPP), le CETIOM, Arvalis, Coop de France et la Fédération du Négoce Agricole. L’outil R-sim (http://www.r-sim.fr), mis en œuvre par le CETIOM, est la cheville ouvrière de ce plan dans la mesure où il permet de délivrer un conseil personnalisé à l’agriculteur sur la base d’une évaluation du risque d’apparition d’adventices résistantes selon les pratiques, les rotations mises en œuvres et le contexte agro-pédo-climatique de la parcelle. Cet outil permet par ailleurs l’enregistrement des pratiques pour en assurer un suivi dans le temps et détecter d’éventuelles évolutions. L’aboutissement de ce travail n’a cependant pas constitué un motif suffisant pour prolonger l’inscription de la variété de tournesol TH en question et aucune variété de tournesol ou de colza revendiquant le trait TH n’a depuis été inscrite sur le catalogue national. Les variétés de tournesol et de colza TH commercialisées et cultivées en France sont inscrites sur le catalogue européen via d’autres Etats membres. Les conclusions de l’expertise ont par ailleurs conduit à inscrire dans le programme Ecophyto la question de la phyto-pharmacovigilance pour la détection des résistances chez les adventices. Elles sont également reprises dans différentes initiatives portées par la société civile, des ONG et associations, comme caution scientifique d’argumentaires développés en opposition au développement des VTH obtenues par mutagénèse.
Environnemental:
A ce stade, il n’est pas possible d’établir de manière avérée un impact environnemental lié au plan d’accompagnement mis en œuvre à la suite de l’ESCo même si l’objectif est de contribuer à la diminution de l’emploi des herbicides dans les systèmes de grandes cultures. Néanmoins, dans le cadre des mesures de suivi avec l’outil R-sim prévues dans la Charte de bonne conduite, 20 % des agriculteurs déclarent ne pas réaliser le traitement herbicide sur la variété de tournesol TH. Cela indique que cette solution technique autorise une flexibilité d’usage et n’induit pas systématiquement un usage de l’herbicide associé. En comparaison, dans le cas de l’utilisation d’un colza ou d’un tournesol non TH, l’agriculteur aurait pu réaliser un traitement de pré-levée d’assurance à l’aveugle. Le bilan en termes d’IFT est donc favorable mais mérite d’être consolidé dans le temps notamment pour évaluer l’impact sur l’IFT à l’échelle de la rotation (gestion pluriannuelle des populations adventices) et la prise en compte de l’éventuelle simplification des conduites.
Impacts 2
Les conclusions de l’ESCo ont récemment alimenté une initiative européenne portant sur les mesures d’épidémiosurveillance à mettre en œuvre pour assurer un suivi pertinent et efficace de l’apparition d’adventices résistantes aux herbicides, dans le cadre d’un workshop EFSA - JRC organisé en décembre 2014. Il est par ailleurs observé une prise de conscience en Allemagne de la problématique des VTH. L’Administration fédérale a en effet récemment interrogé l’association des obtenteurs BDP sur la question des VTH qui a été relayée au sein de l’European Seed Association (ESA). A cette occasion, l’UFS est mise à contribution pour témoigner au sein de l’ESA sur le dispositif d’accompagnement mis en œuvre en France. Enfin, le périmètre de l’ESCo n’incluant pas la question de l’impact sanitaire humain et animal, le MEDDE vient de saisir l’ANSES pour réaliser une évaluation de cet impact.