Mireille Matt
Piloter la recherche vers les impacts sociétaux

Piloter la recherche vers les impacts sociétaux : la méthode Asirpa en temps réel

Comprendre en 3 mn comment piloter son projet de recherche grâce à ASIRPA temps réel. Trois questions à Mireille Matt sur la construction du chemin d’impact des projets de recherche en temps réel.

Quel est l’objectif de la méthodologie ASIRPA en temps réel ?

Mireille Matt : A la base, il y a l’idée que si l’on veut qu’un projet de recherche se traduise par des impacts dans la société, il faut qu’il y ait une démarche délibérée de le faire. Cela ne se fait pas naturellement… La méthodologie que nous développons vise à aider les chercheurs à concevoir leurs projets de recherche avec cette volonté d’impacts. Tous les projets ne s’y prêtent pas, mais, par exemple, si l’on considère le Programme prioritaire de recherche appelé « Cultiver et protéger autrement » (PPR CPA, (1)), qui nous sert de pilote depuis 2021, les objectifs sociétaux sont très clairs :  développer une agriculture sans pesticides en 2040, même si les chemins pour y arriver sont inconnus. C’est un programme ambitieux qui impacte l’ensemble de la société, des producteurs aux consommateurs. Il importe donc que les chercheurs intègrent ces objectifs dès le départ et pensent à la fois à explorer des fronts de science mais aussi à identifier les leviers à actionner dans la société (réglementation, création de nouveaux marchés, stratégies territoriales etc.) et les partenaires qui peuvent être mobilisés (instituts techniques, collectifs d’agriculteurs, entreprises etc.)

Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?

M. M. : Nous nous inspirons de l’expérience acquise par les quelques 60 études de cas d’impacts a posteriori. Un des outils mobilisés dans la méthode ASIRPA consiste à construire un « chemin d’impact », à la différence près que ce chemin est construit a priori, et non a posteriori. Comment peut-on faire cela ? En partant des objectifs sociétaux ! Dans le cas du PPR cité précédemment, on traduit d’abord ces objectifs très globaux en objectifs plus détaillés : se passer de pesticides, cela implique de nouveaux systèmes agricoles, le contrôle biologique des ravageurs des cultures, des consommateurs sensibilisés, etc. Puis on cherche des objectifs atteignables à plus court terme, par exemple : des systèmes innovants à l’échelle territoriale, de nouveaux produits et de nouveaux marchés, de nouvelles activités professionnelles. Ensuite, les chercheurs adaptent leur projet de recherche en fonction des impacts désirés. Ils identifient également les parties prenantes à impliquer et les verrous qui doivent être levés, entre autres : l’acceptation réglementaire des mélanges de variétés végétales, la reconnaissance des méthodes de biocontrôle, une épidémiosurveillance renforcée, la standardisation des données etc. Ces chemins d’impact, une fois construits « à rebours », ne sont pas figés, ils évoluent au fil des recherches et des partenariats.

Comment aidez-vous les chercheurs dans cette démarche ?

M. M. : Nous travaillons étroitement avec les porteurs des dix projets du PPR « Cultiver et protéger autrement », à travers un programme de formation en ligne qui explicite les grands principes de la méthode ASIRPA en temps réel. Nous organisons aussi des ateliers de travail et des échanges réguliers. Chaque porteur de projet construit son chemin d’impact, puis nous les mettons en commun afin de dégager des synergies et d’assurer la cohérence de l’ensemble du programme. Nous mettons aussi à disposition des chercheurs une plateforme interne d’interactions pour partager les éventuelles difficultés et les conseils. Car ce n’est pas une démarche habituelle pour les chercheurs, elle les pousse hors de leur zone de confort. Certes, les chercheurs ont l’habitude de collaborer, ils ont des réseaux de partenaires, mais l’idée de piloter la recherche vers un objectif donné ne va pas de soi. Malgré tout, cette démarche est bien accueillie, beaucoup de chercheurs considèrent que les impacts sociétaux de leur recherche relèvent de leur responsabilité.

(1) PPR CPA (2021-2026) Lire l’article : 3 questions à… Christian Huyghe, sur le PPR « Cultiver et protéger autrement » https://www.inrae.fr/actualites/3-questions-christian-huyghe-ppr-cultiver-proteger-autrement

* Mireille Matt est chercheuse en Sciences de l’innovation et membre de l’équipe ASIRPA.

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